La mobilité n’est plus une option, c’est un bien commun qui doit inciter les collectivités à reprendre la main sur leurs décisions
Face à une offre pléthorique de solutions de mobilité et d’innovations technologiques, les collectivités doivent relever le défi de la mobilité dans un contexte de foisonnement et d’accélération. Consultant en mobilité et expert chez Next Move, Eric Morgain suggère quelques pistes pour aider les collectivités dans leur politique de mobilité.
Innover dans la mobilité, pourquoi est-ce parfois si difficile pour les collectivités ?
D’abord il faut partir d’une situation acquise : les villes ont été construites en fonction de l’automobile et de modes de transports lourds. Cela ne facilite pas la transition vers une mobilité souple et inclusive. Alors que les collectivités n’ont jamais eu autant de solutions de mobilité à disposition, elles sont prises entre contraintes et obligations souvent contradictoires : empreinte carbone, qualité de circulation, accès à la mobilité pour tous -y compris dans des zones blanches ou mal desservies – et limites budgétaires. Si l’accélération technologique est séduisante, les décisions se heurtent aussi à la cacophonie des discours. Par exemple Carlos Tavarès, président de Stellentis (PSA Fiat Chrysler) défend les progrès possibles de la voiture thermique à contre-courant du « tout électrique » ambiant, d’autres promettent les voitures autonomes ou les robotaxis pour demain. La mobilité fait la vie en communauté. Dans ce contexte de confusion, certaines collectivités sont tentées de penser leur mobilité en termes de moyens et de silos et apportent des réponses technologiques sans toujours l’appréhender en termes d’objectifs et de stratégies. Toute collectivité a ou va avoir son service d’autopartage ou de covoiturage, son plan vélo, des bornes de recharge, un BHNS. À chaque fois, ces solutions apportent une innovation réelle et permettent de compenser une difficulté mais prises individuellement, elles ne traitent pas la question en profondeur. La véritable innovation réside dans une approche globale fondée sur l’usage : je veux faciliter les moyens de circulation, réduire la pollution d’un quartier, limiter l’impact environnemental, désengorger le trafic, le tout dans le cadre d’un plan de mobilité générale. L’innovation consiste donc à penser au service global apporté au territoire pour refaire du transport un bien commun ouvert à tous les publics. Il faut comprendre les incidences de la mobilité pour réanimer un centre-ville moribond ou stimuler le développement de nouvelles entreprises et la création d’emplois. La régulation par intelligence artificielle des feux rouges peut avoir plus d’effets qu’une prime à l’acquisition de vélos électriques.
De quels moyens disposent-elles pour reprendre de la hauteur dans leur stratégie de mobilité ?
La mobilité pour tous, tout le temps et à bas coût n’est plus un ‘nice to have’, c’est un ‘must have’, autrement dit, une obligation, un bien commun. Tout le monde a droit à la mobilité mais relever le défi est compliqué lorsque les collectivités manquent de vision d’ensemble, d’expertise ou d’outils pour agir efficacement. Beaucoup de collectivités ont externalisé la gestion de leurs transports auprès par exemple d’opérateurs historiques dont le métier est la gestion des modes de transport lourds ou à l’opposé les Waze s’en sont emparés et maîtrisent totalement le territoire. Elles ont besoin de regagner en autonomie et d’user de l’autorité que leur donne la loi pour reprendre la main sur leurs décisions et retrouver une meilleure agilité. Personne ne peut maitriser à lui seul tous les éléments de la chaine de valeur. En revanche, il est essentiel d’en maîtriser les maillons clés. Dans ce sens, innover et travailler en écosystème permet non seulement d’enrichir les visions mais aussi de fiabiliser les décisions. Les grands opérateurs ont évidemment une expertise inégalée mais aussi de nombreux nouveaux acteurs frappent à la porte avec des solutions pertinentes et robustes. Comment les connaître, les évaluer, les faire travailler ensemble ? C’est un des défis des collectivités aujourd’hui.
En quoi la mobilité peut-elle être un facteur d’innovation à part entière ?
L’objectif est le Déplacement Individuel en Commun (DIC). L’innovation dans la mobilité repose sur trois pieds : l’urbanisme, les usages, les moyens. Elle le devient quand elle favorise justement cette vision globale. Prenons deux exemples. Le premier, le concept de MAAS (mobility as a service) qui offre un moyen d’agréger et d’articuler plusieurs moyens de transport via une application numérique. En optimisant la logistique du déplacement et en y associant une palette de services, le MAAS contribue à l’innovation du territoire en tenant compte de toutes ses interdépendances. Pour les collectivités, c’est un moyen notamment par l’utilisation des données de garder la maitrise stratégique de leur offre et la maitrise opérationnelle de leur mobilité urbaine. Elle rappelle que le centre de gravité doit rester centré sur les usages et l’utilisateur, non pas sur les moyens. Pendant longtemps, la voiture a imprimé l’architecture de la ville. Aujourd’hui, les moyens de mobilité ou de non mobilité volontaire sont devenus un nouvel outil d’aménagement du territoire. Cela suppose donc d’intégrer la mobilité dès la conception des projets et non pas en rattrapage. Cela suppose aussi un bouleversement sociétal pour que les utilisateurs soient davantage parties prenantes dans le développement de ces nouvelles mobilités.
Le deuxième exemple est celui de la création par Louis Moutard, architecte urbaniste et Phillippe Mattera président de Dynalogic qui propose à une collectivité le concept de « syndic des mobilités » complétant le rôle des syndics d’immeuble pour faciliter les nouveaux usages de déplacement dans les territoires. Les études le montrent, ce n’est pas en faisant du transport gratuit qu’on changera massivement les habitudes de mobilité, c’est en augmentant le coût financier et psychologique de déplacement en voiture. C’est particulièrement difficile quand le public lui-même développe une mobilité auto-soliste ou se heurte à une immobilité contrainte. L’acceptabilité induit une maturité et un engagement qui appellent des politiques d’incitation à l’usage de la part des collectivités. On voit l’intérêt de systèmes participatifs comme celui que Rambouillet Territoires a développé avec son Mobility Lab une expérimentation au service de l’habitant. De même, dans des villes comme Nice, Aix-en-Provence ou La Rochelle, l’usage a pris le pas sur les moyens technologiques, la population a été intégrée en amont, devenant partie prenante des orientations. C’est grâce à tout cela que ces villes ont aussi pris un temps d’avance sur la mobilité.
Eric Morgain, est consultant et expert pour le pôle de compétitivité Next Move et auprès de l’EIC Climate Change. Il accompagne de nombreuses startup et PME et a ainsi une vision très pragmatique des besoins et réponses en matière de mobilité. Eric Morgain a enseigné management et marketing public à Paris IX Dauphine pendant plusieurs années.